Vygotski - Pensée et langage

Publié le par Franz

Introduction

Vygotski postule l'existence de deux voies pour la recherche psychologique. La première qui s'appuie sur l'analyse et décompose l'unité de l'individu analysé en un ensemble indéfini de parties à partir duquel l'unité de l'objet est perdue. Il reproche ainsi au linguiste Saussure (dans le chapitre 1 de « Pensée et langage », p53 de l'édition française) d'avoir dénaturé le sens du mot en dissociant artificiellement en lui un signifiant et un signifié séparés. Or cette dissociation, reprise sans jugement critique par la majorité des scientifiques, pose problème car elle postule l'existence d'une pensée pure (le « signifié ») entièrement séparée de l'empreinte sonore ou visuelle (le « signifiant »). La conséquence présentée par Vygotski (dans le chapitre 1 p53) est la suivante : il y a disjonction, dans l'étude du développement du langage enfantin, de l'aspect sonore ou phonétique et de l'aspect sémantique. Le psychologue y gagne peut être en intelligibilité sur les concepts ainsi mécaniquement construits, mais il y perd dans l'intelligibilité de ce qui devrait être sa préoccupation : à savoir la compréhension du réel. « Le mot sans signification n'est pas un mot, c'est un son vide ».

C'est en ayant en tête ces remarques que la deuxième voie empruntée par Vygotski devient plus claire. Le psychologue russe veut procéder à des analyses qui rendent compte de l'unité de la communication et de l'intelligibilité du langage et de la pensée. En effet, il est impossible pour Vygotski d'étudier le développement de la pensée chez l'enfant en séparant artificiellement et statiquement les processus affectifs d'une part et les processus intellectuels de l'autre. Il faut penser l'interdépendance du langage et de la pensée pour saisir dans son unité le développement dynamique de l'enfant. Cela est l'objet de son ouvrage déterminant : « Pensée et langage ».

Ce dernier démarre par des remarques méthodologiques dans le chapitre 1 (et précedemment explicitées dans cette introduction) et se poursuit avec deux chapitres qui présentent les travaux de Piaget et dans une moindre mesure ceux de Stern. Vygotski y montre l'interêt pour lui de leurs recherches respectives, mais aussi les limites de ces analyses.

Le chapitre 4 apparaît comme le premier chapitre où, au contact des recherches des psychologues de son époque, Vygotski va poser les fondements théoriques de l'interaction langage-pensée, fondatrice de la spécificité humaine (construction des concepts naïfs/scientifiques, zone prochaine de développement). On y retrouve en quelque sorte la « généalogie » de la pensée psychologique de Vygotski, qui s'appuie sur le matérialisme historique de Marx, à savoir très schématiquement l'idée que l'homme se transforme et grandit dans une relation dialectique et conflictuelle avec son milieu.

Le problème posé par l'auteur est le suivant : penser la psychologie de manière purement analytique conduit à une impasse. En effet, le psychologue doit alors postuler que le langage et la pensée sont réductibles à des données scientifiques (biologie, physiologie, psychologie, etc.) qui vont permettre d'expliquer le fonctionnement psychologique de l'être humain de manière universelle. Or, sans conceptualisation de l'interaction avec le milieu social, le psychologue est illusoirement amené à penser que le processus du développement chez l'enfant est « mécanique », rien ne pouvant être fait pour l'améliorer (on sait par ailleurs que Vygotski s'est interessé de près à la résolution des problèmes de handicap chez l'enfant). Le psychologue et plus généralement l'adulte est alors confiné au rôle d'observateur passif du développement. Vygotski postule au contraire une interaction dynamique de l'enfant avec le milieu social ; de la pensée (fonction réflexive) avec le langage (fonction sociale). Quelle est la nature de cette interaction, comment se construit-elle chez l'homme ? Pourquoi voit-elle le jour chez les hominidés et pas chez les autres mammifères supérieurs ? Voilà le questionnement auquel le psychologue russe tente de répondre dans ce chapitre pour rendre compte de la variété des développements infantiles.

Ce chapitre est découpé en quatre moments :

  • le premier s'attache à démontrer que le rapport entre les processus du langage et de la pensée est variable et non constant (p149-167);

  • le second moment présente les différentes racines génétiques et les différentes lignes dans le développement de la pensée et du langage (p167-171);

  • le troisième moment présente l'importance des processus du langage intérieur pour le développement de la pensée humaine (p171-178);

  • enfin Vygotski pose un bilan faisant la synthèse du chapitre (p179-188).

Suivant la thèse de Vygotski selon laquelle l'interaction entre les processus du langage et de la pensée est constitutive de la particularité de l'homme, nous travaillerons en trois moments. Dans un premier temps, nous étudierons le langage et l'intelligence au stade « pré-intellectuel » et « pré-verbal » chez le singe et l'enfant. Par la suite, nous verrons que l'auteur construit l'interaction langage-pensée, à travers le rôle fondateur du langage égocentrique qui devient ensuite langage extériorisé. Enfin, nous essayerons de caractériser la place de la pensée de Vygotski dans le champ intellectuel ainsi que l'intérêt de sa réflexion pour la psychologie du développement.

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